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Alexandre Savioz
Socio-anthropologue
À l'IGD jusqu'en 2021

Résumé de la thèse

De gaz et de particules

Ethnographie de la construction sociale et politique des problèmes publics de la pollution de l'air et des changements climatiques dans la haute Vallée de l'Arve

La Vallée de l'Arve est un territoire qui s'étend des hauteurs de la Vallée de Chamonix à la ville de Genève, dans le département de la Haute-Savoie (74). L'enquête s'est focalisée sur la haute Vallée de l'Arve, composée de deux collectivités territoriales, la Communauté de Communes du Pays du Mont-Blanc, et la Communauté de Communes de la Vallée de Chamonix-Mont-Blanc.

Suivant une approche socio-anthropologique, les premiers pas de cette recherche ambitionnaient d'interroger l'appréhension des habitants d'un territoire touristique de montagne confronté aux changements climatiques. Suivant un processus d'itération, l'enquête a ensuite été réorientée par une démarche empirique et inductive vers des questionnements intégrant la thématique de la qualité de l'air.

Cette thèse propose ainsi de s'intéresser à la construction politique de deux enjeux environnementaux dans cette région en tant que problèmes publics : les changements climatiques et la pollution de l'air. Son objectif est de rendre compte de la complexité de ces thématiques à travers l'expérience des populations locales en suivant leur itinéraire respectif et leur appropriation ou non par des mouvements sociaux. Bien que les controverses liées aux changements climatiques soient omniprésentes à l'échelle nationale et internationale, le phénomène demeure difficile à appréhender à l'échelle locale, même lorsqu'il renvoie à des réalités pourtant bien tangibles, comme c'est le cas dans la région étudiée avec notamment le recul des glaciers. En effet, les sensibilités environnementales se polarisent davantage autour des problématiques liées à qualité de l'air, qui constituent un enjeu majeur de santé publique et qui relèvent d'un ancrage historique de plusieurs décennies de luttes collectives, préexistant aux débats liés aux enjeux climatiques dans la région. Les nombreux liens, amalgames, rapprochements, glissements et confusions rencontrés au cours de l'enquête entre ces deux thématiques témoignent d'une compréhension des enjeux climatiques à partir de référentiels connus, qui s'inscrivent dans l'histoire collective des acteurs investis.

Afin d'aborder ces enjeux, cette recherche emprunte à la perspective sociologique constructiviste des "problèmes publics", qui réfute une vision naturaliste des problèmes, en postulant que ceux-ci sont construits à travers un processus de problématisation de la réalité. Dans ce processus, les mobilisations citoyennes jouent un rôle fondamental. De fait, cette recherche se focalise sur la genèse et sur les motivations de mouvements sociaux qui sont apparus dès la fin des années 1980 dans la haute Vallée de l'Arve, reformulant leurs revendications à travers différents processus de cadrage.

Concernant ces derniers, à l'encontre des approches qui insinuent une concurrence des cadres (framing contest), de dispute des cadres (frame dispute), ou de dispute autour de la résonnance des cadres (frame resonance dispute) formulées par Benford et Snow (Benford, Snow, 2012 [2000]), mais également contre l'idée d'un "cadre unique" (unique frame) ou d'un "cadre générique" (generic frame) (Borah, 2011), cette thèse postule l'existence d'une cohabitation des cadres ou de cadrages mixtes (mixed frames) (Ibid.). Je considère également que l'impulsion de ces cadres relatifs aux enjeux environnementaux repose sur des facteurs externes aux mouvements sociaux qui nuancent la vision rationaliste de l'action collective.

Enfin, un regard sera porté sur l'évolution des « registres d'action » (Ollitrault, 1999, 2008) mobilisés par les militants des mouvements sociaux depuis les premiers pas du mouvement contestataire au début des années 1990. Cette évolution se caractérise par une ouverture des stratégies mises en œuvre par l'action collective, mais également par les différents groupes de militants qui pilotent les mouvements sociaux.